La Suisse recevra ses batteries Patriot avec du retard

Système Patriot de Raytheon, @DDPS

Fatigué de la polémique F-35 ? Ne vous inquiétez pas, une autre va pouvoir la remplacer. En effet, le département de la Défense américain a prévenu son homologue suisse que les cinq systèmes Patriot commandés en 2022, et dont la livraison devait se tenir en 2027-28, arriveront avec du retard. Combien ? Le communiqué du DDPS publié aujourd’hui même ne le dit pas, la chose ne pouvant encore être calculée.

Comme pour la commande de missiles PAC-3 MSE effectuées dans le cadre du Programme d’armement 2023, le conflit en Ukraine explique ces retards. Le président américain, pas à un retournement de situation près, a décidé ces derniers jours de livrer des systèmes antiaériens à Kiev, dans le but de mettre la pression sur le Kremlin. Le locataire de la Maison Blanche avait en effet clamé pouvoir arrêter le conflit dès l’entame de son mandat, en janvier. Poutine et son équipe, loin de vouloir stopper leurs offensives, se sont habilement servis de la relative bienveillance de Washington à leur égard pour continuer leur invasion durant de longs mois, usant les défenses ukrainiennes. Lassé de ne pas voir « son ami » obtempérer, Trump a donc durci le ton, en autorisant ces livraisons et donnant un (long) délai de 50 jours à la Russie pour stopper ses assauts.

Ce qui transparaît moins dans la communication grand public, c’est que le républicain a malgré tout finement joué son coup : les batteries Patriot livrées à l’Ukraine seront financées… par les nations européennes. Cette manœuvre permet à Trump de montrer qu’il sait taper du poing sur la table, et qu’il peut obtenir passablement de choses de ses « alliés » d’outre-Atlantique.

Ce qui ressort également de ces derniers développements, c’est que l’Europe s’est manifestement montrée incapable de mettre sur pied une industrie de défense à même de faire face aux besoins qui sont désormais les siens. En effet, après 3 ans de guerre, l’on aurait pu penser que les lignes de production avaient été adaptées, mais force est de constater que ce n’est pas le cas, ou alors partiellement, et notamment pour ce qui est des systèmes anti-aériens à longue portée, notamment le SAMP/T franco-italien. Celui-ci donne satisfaction en Ukraine, sauf pour ce qui est des livraisons de munitions, livrées au compte-goutte. En service uniquement dans les pays producteurs et à Singapour, il manque à cet équipement la masse critique permettant aux industriels de le produire, avec ses munitions, à cadences soutenues.

Ainsi, les nations européennes se retrouvent dans une position doublement perdante : elles ne soutiennent pas leur propre industrie, et donc leur indépendance stratégique et leurs travailleurs, tout en renforçant des concurrents qui n’en demandaient pas tant. Les dirigeants du Vieux Continent se bercent sans doute toujours de vains espoirs de protection américaine en échange de ces acquisitions, alors que les USA, qu’ils soient sous administration démocrate ou républicaine, ont définitivement les yeux tournés vers le Pacifique.

La Suisse ne fait pas mieux, loin de là. En même temps qu’elle cédait RUAG Ammotec à des investisseurs étrangers, elle continuait d’acheter en-dehors de l’Europe, notamment à Israël (drones ADS 15, missiles antichars Spike) et aux États-Unis (F-35, Patriot), même si elle ne semble pas être la nation la plus versée dans l’art de ne pas acheter européen, comme la Pologne, par exemple. Or l’on voit bien les risques que peuvent entraîner ces acquisitions lointaines : Israël priorise certainement ses propres besoins depuis octobre 2023 tandis que les USA peuvent clairement nous envoyer balader sans que nous ne puissions dire grand-chose. Même si les industriels européens ont des capacités moins importantes, notre importance à leurs yeux serait probablement plus élevée.

L’on aurait pu penser lors des différents appels d’offres liés au Programme Air2030 que si l’avion sélectionné était européen, alors le système anti-aérien serait américain, et inversement, pour ménager les susceptibilités diplomatiques et diminuer les risques industriels, mais il n’en a rien été. Rappelons pourtant que l’armée suisse a pendant longtemps tâché de diversifier autant que faire se peut ses fournisseurs, acquérant par exemple des avions allemands (Messerchmitt BF-109) et français (Morane-Saulnier 406) durant la Seconde Guerre mondiale, puis britanniques (Venom, Vampire, Hunter) et français (Mirage III) avant de se tourner vers les USA (Tiger, F/A-18 et F-35) pour ne parler que des avions de combat, permettant de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. À cette aune, le Parlement a sans doute bien fait de faire accélérer l’acquisition du système moyenne portée IRIS-T allemand, en espérant que celui-ci nous soit livré au plus vite.

Si le Conseil fédéral a déclaré récemment vouloir effectivement (re)commander en priorité européen – nous y reviendrons -, il faudra voir si cette déclaration n’est pas qu’un vœu pieux, comme cela est souvent le cas en Europe dans le domaine. De même, il sera intéressant de voir si des pénalités de retard sont prévues dans le contrat portant sur les Patriot. Si c’est le cas, il serait intéressant que les sommes reçues soient rapidement affectées à la défense anti-aérienne, et permettent d’acquérir quelques systèmes Skyranger 30 (oui, on l’aime beaucoup). Même si ceux-ci n’ont évidemment pas grand-chose à voir avec l’armement américain en termes d’usage, ils permettraient de combler un manque dans notre armée et de soutenir l’activité du site zurichois de Rheinmetall Air Defence (anciennement Oerlikon) qui risque de se retrouver rapidement à court de travail après la livraison des commandes autrichiennes effectuées en 2023-24. À moins que l’Allemagne ne décide d’y faire produire une partie des 500 ( !) Skyranger qu’elle a déclaré vouloir commander, ce qui n’est de loin pas acquis, Berlin voyant sa remilitarisation comme un outil de (ré)industrialisation tandis que la législation suisse concernant ses (ré)exportations n’a toujours pas été modifiée, même si elle est en voie de l’être.

Il y aurait dans cette commande « nationale » de quoi montrer que l’on souhaite effectivement passer de la parole aux actes, mais notre pays est particulièrement lent sur les questions d’armement et très peu porté sur les politiques de soutien aux industries nationales, quelles qu’elles soient par ailleurs. Malheureusement.

Sources :

https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/UTork_XRoVDMOoX3GRUCl

https://www.vbs.admin.ch/fr/programme-armement-2023#Engins-guid%C3%A9s-pour-d%C3%A9velopper-les-capacit%C3%A9s-de-la-d%C3%A9fense-sol-air-de-longue-port%C3%A9

https://www.letemps.ch/monde/frustre-par-vladimir-poutine-donald-trump-monte-le-ton-mais-change-t-il-reellement-de-strategie

https://meta-defense.fr/2025/04/09/pourquoi-samp-t-echecs-international/#un-positionnement-prix-difficile-a-vendre

https://www.rheinmetall.com/de/media/news-watch/news/2023/12/2023-12-12-rheinmetall-mit-air-defence-in-oesterreich-erfolgreich

https://www.rheinmetall.com/en/media/news-watch/news/2024/02/2024-02-23-rheinmetall-supplies-skyranger-30-to-austria

https://www.hartpunkt.de/bundeswehr-plant-massiven-ausbau-der-luftverteidigungs-und-flugabwehrkapazitaeten/